Le premier endroit en France où l’écrivain tchèque Milan Kundera s’est installé après l’émigration de son pays en 1975 était la ville de Rennes. Il ne l’a pas trouvée à son goût. En témoigne cette petite phrase assassine tirée d’une interview de Kundera – résident parisien depuis peu – pour le journal Libération : « Nous sommes partis en voiture avec (ma femme) Věra, nous avons traversé des villes françaises toutes très belles, il y avait des cathédrales magnifiques, et puis nous sommes rentrés dans la première ville moche du voyage, mais vraiment moche, c’était Rennes. »

Pourquoi Kundera parlait-il avec autant de mépris de la ville qui l’avait accueilli à bras ouverts lors des moments les plus difficiles de sa vie ? On ne peut pas exclure que son hébergement au sommet de la Tour des Horizons y soit pour quelque chose ; de la hauteur de son 30e étage, il avait une excellente vue du ciel, bien meilleure que celle de la ville, en contrebas.

Récemment, j’ai visité Rennes et dû constater que Kundera était plutôt injuste envers elle : le centre historique regorgeant de maisons à colombage dont les façades se penchent dans tous les sens comme des vieillards sciatiques, les palais baroques et les églises encerclés de deux rivières ; d’ailleurs, n’était-ce pas le nom de l’une d’elles – La Vilaine – qui aurait chez Kundera associé Rennes à l’image de la laideur ? Ou bien aurait-il été choqué par La Chasse au tigre, grande toile de Pierre Paul Rubens exposée au Musée des beaux-arts, où le fauve enragé mord dans l’épaule du cavalier terrassé d’horreur ? Cela semble assez peu probable, étant donné que Kundera n’a jamais été une chiffe molle.

Une dernière hypothèse est à méditer. Pendant les deux jours que j’ai passées à Rennes, il tombait des cordes. La Bretagne est réputée pour son temps pluvieux. Et Kundera qui venait d’un pays où la pluie s’appelle « averse » aurait eu du mal à considérer comme une circonstance atténuante le fait que, alors qu’à Rennes il ne pleut que sans cesse, à Brest, situé encore plus à l’Ouest, il flotte non-stop.

Rue89, 1. 12. 2015