Ne seriez-vous pas tentés par un petit cours de tchèque ? Rassurez-vous, je ne chercherai pas à vous apprendre les bases de cette langue slave incompréhensible, avec ses conjugaisons compliquées aux modèles multiples. Je vais me limiter ici à vous signaler quelques termes qui ont récemment enrichi son vocabulaire, en relation étroite avec les conjonctures politiques.
Tout d’abord, les premiers afflux des migrants en Europe ont donné lieu à la naissance du terme « petits-soleils » (sluníčkáři). Employé surtout au pluriel, il engloberait toute une couche de la société tchèque. Qui sont ces petits-soleils ? Selon les nationalistes dont les rangs ne cessent de grossir à Prague, il s’agirait des gens favorables à l’accueil des immigrés. Le terme est péjoratif, cela va de soi ; n’ayant pas d’individualité propre (d’où le pluriel), ce seraient autant de petits soleils irradiant d’une bonté béate, sans se préoccuper des effets désastreux qu’aurait une arrivée en masse des immigrés musulmans en Europe sur notre vieille civilisation chérie.
« Regardez, » s’indignent les bons patriotes tchèques, « où ils en sont arrivés en Allemagne ou en France : dans les no go zones qui prolifèrent dans leurs villes, la seule loi toujours en vigueur est la charia ! »
La consécration suprême d’un terme qui au départ n’a circulé que via les réseaux sociaux a fini par recevoir – en quelque sorte – la consécration suprême de la bouche du président Milos Zeman. Les « petits-soleils », ces gens d’une naïveté criante, sont devenus même l’une des cibles favorites du président.
Une rhinite provoquée par l’abus d’alcool
Par ailleurs, le président Milos Zeman, ami fidèle de Vladimir Poutine et chef de file anti-islamiste tchèque, est un esprit créatif qui a lui-même inventé une nouvelle expression. « Le café pragois » (pražská kavárna) désignerait, par métonymie, les intellectuels diffusant leurs ragots depuis les cafés branchés de la capitale. Jiri Ovcacek, porte-parole du président, le colle assidûment au dos de tous les critiques de son maître. Inutile de préciser que « le café pragois » est vite devenu bondé à craquer, ses tables étant occupées d’éléments de gauche progressiste, de droite pro-européenne ainsi que de journalistes de tous bords.
Last but not least, le président Zeman a le mérite d’avoir un peu malgré lui enrichi la terminologie médicale tchèque. Lors de la présentation solennelle des joyaux de l’ex-Royaume de Bohême aux hauts magistrats de l’État, en novembre 2014, il se tenait à peine sur ses jambes, devant les caméras ; la veille, il aurait abusé de la vodka lors de la réception à l’ambassade russe à l’occasion de la fête nationale de ce pays. Et, dès qu’une porte-parole (qu’on n’a d’ailleurs plus jamais revue depuis) a expliqué l’état dans lequel se trouvait le président par une « rhinite » (viróza), ce mot a gagné un nouveau sens.
Ainsi, la phrase tchèque « J’ai chopé une rhinite » veut désormais dire : « Je me suis soûlé à mort ! »
Rue89, 22. 2. 2016
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