
Avant d’y établir résidence, je confondais le chef-lieu de la Bretagne avec Reims (parfois, Rouen entrait également en jeu) : les villes de province françaises dont je ne savais à-peu-près rien, en bon (faux) Parisien qui se respecte. Lors de ma première visite de Rennes, je me suis égaré dans le dédale des ruelles du quartier de la cathédrale et je n’arrivais pas à m’en dépêtrer ; c’était bien la première et la dernière fois ! Enfin sorti sur la place de la République, j’ai poussé un soupir de soulagement : « Je ne finirai donc pas prisonnier de cet agglomérat de maisons à pans de bois dont aucune ne se tient droit, tel un poivrot imbibé de bière qui s’endort en marchant mais qui, heureusement pour lui, ne rentre pas seul ; épaulé par d’autres bibards, de gauche et de droite, il retrouve un équilibre précaire qui l’empêche de tomber la tête la première et de se casser le pif. »
J’ai découvert dans ce quartier une cathédrale construite dans le style classique ; j’avais cru jusque-là que toutes les cathédrales de France devaient être gothiques, qu’il y avait une loi pour ça…
Après m’y être installé pour de vrai, je suis devenu Rennais (et non pas Rennois, comme je croyais au départ, ce mot-là, déjà pris, voulant dire « Black » en verlan). J’ai découvert une ville à taille humaine dont on peut traverser le centre en quelques minutes, sauf si on est un Tchèque en manque de repères ; une ville que ses habitants ont l’habitude de parcourir à pied, de Maurepas jusqu’à Cleunay ; une ville rustique à prédominance de maisons à un étage, à l’exception du centre où elles peuvent grimper jusqu’à trois. J’ai découvert une ville complexée dont les gérants rêvent de battre Nantes, une véritable grande ville, capitale historique de la Bretagne. En 1985, Nantes a rétabli son réseau de trams. Il ne restait aux Rennais qu’à creuser une ligne de métro, atteignant ainsi une primauté planétaire : la plus petite ville du monde avec un métro !
Avec huit étages au minimum, de nouveaux immeubles qui poussent un peu partout surmontent largement des habitations environnantes, donnant l’impression d’une ville rafistolée, fatrassée.
L’entreprise d’élévation de Rennes aux cieux fut lancée en 1970 avec la construction de la Tour des Horizons. Cinq ans plus tard, on a planqué Milan Kundera, un écrivain tchèque qui venait de s’exiler en France, au 30e et dernier étage de cet immeuble. Le pauvre homme de lettres, amoureux de la beauté médiévale de Brno et de Prague, a puni les Rennais par le rejet de leur cité. Il l’a formulé lors d’une interview donnée au Monde, en 1979, où il a décrit ainsi son départ de Tchécoslovaquie :
Nous sommes partis en voiture avec (ma femme) Věra, nous avons traversé des villes françaises toutes très belles… puis nous sommes rentrés dans la première ville moche du voyage, mais vraiment moche. C’était Rennes.
La même année, Kundera a déménagé à Paris, jetant Rennes aux oubliettes, une fois pour toutes.
À présent, si cela vous intéresse, je suis venu à Rennes pour tenter de réhabiliter les écrivains tchèques aux yeux des habitants de cette ville. Or, il se peut que ma détermination laisse les Rennais de marbre ; à ce moment-là, je suis prêt à m’installer à Nantes pour y crier sur les toits que Rennes est un patelin paumé au milieu des prés, avec une barre en béton par ci, par là…
Néanmoins, ce texte se voulant sérieux, essayons de garder le sérieux. Si nous écrivons « Rennes » à l’envers et que nous séparons les deux syllabes, nous obtenons « sen » et « ner ». Le premier mot signifie « rêve » en tchèque ; celui qui me dira ce que pourrait vouloir dire « ner » m’aura révélé quel genre de rêve je suis venu réaliser dans cette ville il y a trois ans.
26. 7. 2020
Sensible et drôle, du Martin pur jus.
Ça donne envie de faire un petit tour au nord du 45ème parallèle, tout là haut, au pays du sol gelé, entre Reims, Nantes ou Rennes. Bref, dans le triangle des Bermudes pour la méridionale que je suis.
Merci Martin, de ce regard critique amusé, de ta tendresse évidente pour ta double patrie.
Merci BO. Le pays du sol gelé ? Il ne faut pas exagérer. Malgré les intempéries, nous ne sommes pas en Sibérie !
Malicieux et charmant, ce texte. Une piste pour l’interprétation de Rennes à l’envers à savoir “sen” et “ner”. Cela peut aussi l’écrire “sans nerf”. Manière de suggérer l’apathie dont certains parfois aiment accuser (à tort) notre capitale bretonne…
Merci, M. Guitton, pour cette piste qui mérite d’être examinée ! Cependant, tout comme vous, je ne trouve pas Rennes apathique mais, bien au contraire, plutôt animée. L’ambiance qu’il y a dans cette ville ne fait pas l’objet de mon article (qui, dans le cas inverse, serait devenu trop gentil, à mon goût), alors je précise ici qu’elle est assez bonne.
Un après-midi de désœuvrement méticuleux et les hasard du surf numérique m’amènent à vous lire au sujet de la détestation que votre compatriote, le Sieur Milan KUNDERA, porte à RENNES, ma ville natale . Détestation mesquine qu’il prit le soin de rendre publique .
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Cela me les brise menues-menues de voir ressasser l’argument selon lequel la détestation du Grand Homme serait justifiée par l’outrage que RENNES aurait commis à son encontre … en l’accueillant au dernier étage des “Horizons” : plus d’un Bretillien / Breton / Français se serait senti flatté de se voir “relégué” dans les étages supérieurs d’un bâtiment prestigieux et novateur de notre ville ( même les Syldaves les moins ingrats auraient su s’en satisfaire ) . A fortiori, en débarquant tout juste à RENNES .
Dois-je vous apprendre que, au début des années 70, la découverte d’une salle de bain était encore source de ravissement pour beaucoup de mes compatriotes ? Mes grands-parents paternels, exemple parmi beaucoup d’autres, durent attendre le mitan des années 80 pour s’affranchir du trou au fond du jardin : ils ne conchièrent ni l’humanité entière, ni la Tchécoslovaquie, pas même leur pays natal, pour autant . Mais il est également vrai qu’ils n’étaient pas fils et fille d’archevêque et que la cuillère en argent leur fit défaut, à la naissance .
Cela me conforte dans l’idée que KUNDERA pourrait n’être qu’un apparatchik ( de talent ) qui ne fit pas preuve d’une clairvoyance excessive en misant sur le mauvais cheval … avant de se carapater loin des Carpates . Où il eut toute la latitude nécessaire à l’expression ampoulée de son incommensurable ingratitude .
Intéressant et révélateur que vous ayez sucré mon commentaire initial .
Les Rennais ne seraient-ils donc pas encore en droit de commenter vos allégations concernant notre ville ?
Non, cher Monsieur Durand, je n’ai point “sucré” votre premier commentaire, car il règne une grande liberté d’expression sur mon site. Cependant, à cause d’une multitude de spams que nous recevons, l’administrateur du site (il ne s’agit pas de moi) doit autoriser chaque commentaire avant qu’il s’affiche en ligne ; c’est la raison pour laquelle le vôtre a été publié avec quelque retard. Pour ce qui est de Milan Kundera, je ne suis responsable ni de ses propos, ni de ses états d’âme. Et ce que vous appelez mes allégations concernant la ville de Rennes ne sont en réalité que mes hypothèses ou bien des boutades destinées à faire sauter au plafond le petit bourgeois rennais.
Le “petit bourgeois rennais” habite Le Blosne … un biotope “bourgeois”, s’il en est .
C’est bien une ambition de crevard apatride et opportuniste que de vouloir faire sauter le petit bourgeois autochtone au plafond . Perso, même si je ne partage pas le même ADN, je préfère de beaucoup les bourgeois enracinés, petits, moyens ou gros, aux racailles allogènes ( quelles que soient leurs mensurations ) et aux laquais faillis du post-communisme qui viennent ici se refaire la cerise aux frais de la CAF . Tout en crachant à la gueule de l’indigène …
Monsieur, faites attention de ne pas finir à l’hôpital de Blosne avec un AVC… Cela étant dit, j’ai demandé à l’administrateur de mon site de bloquer tout message venant de vous, à partir de ce jour.